Portrait Mishael Eusebio, ténor

Mode de vie

Par

01 juin 2023

MIShael eusebio, Ténor
ATELIER LYRIQUE 2021-2023

Texte : Véronique Gauthier

Photos : Marianne Charland

C’est au supermarché philippin P’lengke, où il est également possible de déguster des mets préparés sur place, que Mishael Eusebio nous donne rendez-vous. C’est ici, dans ce lieu précis, que le ténor crée ses premiers liens avec la communauté philippine de Montréal à son arrivée dans la métropole pour intégrer l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal, en 2021.

Retour sur le parcours d’un jeune artiste brillant, polyvalent et au sourire contagieux!

Des Philippines au Canada

Le jeune ténor habite les Philippines jusqu’à l’âge de 8 ans, où il est élevé à 100 % en anglais. « Depuis la période coloniale, la langue anglaise est partout au pays. Les professeurs de mes grands-parents étaient des Américains blancs », explique-t-il. « Ça m’a amené beaucoup de questionnements et de conflits intérieurs par rapport à mon identité, parce que même si je suis né aux Philippines, j’étais un peu comme un étranger là-bas. »

En émigrant avec sa famille à Toronto, le garçon se sent davantage chez lui. « C’était vraiment comme un glove fit. J’allais à l’école avec beaucoup d’immigrants de deuxième génération et je me sentais connecté à eux. Le multiculturalisme était un concept très important, tant dans notre milieu qu’à la maison. Mon père cuisinait des mets de partout dans le monde; pour moi, quand je pense à du comfort food, je pense aux Jamaican patties! »

Un parcours dans les grandes écoles américaines

Comment son intérêt pour l’opéra se révèle-t-il? « C’est tout à fait typique de ma génération: avec YouTube! » D’abord, il y a l’emblématique découverte de Pavarotti chantant La donna è mobile qu’il tente d’imiter du haut de ses 9 ans, puis l’écoute en boucle, à 12 ans, de l’air de la folie de Lucia de Lammermoor interprété par Maria Callas. « J’étais obsédé! À minuit, j’ouvrais les fenêtres parce que je savais que mes voisins étaient dehors et dans ma grande naïveté, je voulais qu’ils puissent l’entendre aussi parce que c’était tellement beau! », se souvient le chanteur en riant.

Après avoir fréquenté une école à vocation artistique au secondaire, où il goûte au théâtre et au théâtre musical, le ténor est accepté à la Juilliard School avec une bourse complète et part pour New York à l’âge de 18 ans. « Après mon baccalauréat à Juilliard, je suis allé faire ma maîtrise en chant au CCM de Cincinnati, une des meilleures écoles du pays, également avec une bourse complète. Je suis extrêmement reconnaissant d’avoir pu me retrouver dans des environnements aussi inspirants. »

Tout au long de son parcours, Mishael se retrouve confronté à la délicate question de l’identité. « Pour les Américains, je suis Canadien, mais je suis aussi Philippin. Quand je me promenais dans le quartier philippin de New York, c’était un tel bonheur, parce que je ressemblais à tout le monde, même si je ne parlais pas la langue. Je tentais de rester silencieux pour savourer le plus longtemps possible ce précieux moment où j’avais un sentiment d’appartenance. Dès que j’ouvrais la bouche pour commander quelque chose, je redevenais un étranger. Au début, ça m’affectait et ça m’insécurisait, mais j’ai réalisé que ça fait partie de moi d’être plusieurs choses à la fois. Je sais qui je suis. Et puis, pourquoi ne pas faire de l’art avec ça? »

La question est lancée!

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Coup de foudre pour Montréal

Après 6 ans chez nos voisins du Sud, l’appel du retour au nord de la frontière se fait sentir. Sa destination de prédilection: Montréal.

« J’ai toujours rêvé d’habiter Montréal! Le français et la musique sont mes deux passions. Si je n’avais pas été chanteur lyrique, j’aurais fait mon baccalauréat en français. J’ai suivi un cours de conversation française pendant mes études aux États-Unis et j’ai aussi engagé un tuteur privé. C’est une langue et une grammaire que je trouve très riche. » En témoignent le niveau de langage, la richesse des expressions et la précision du vocabulaire du jeune francophile qui s’exprime avec une aisance surprenante.

Le jeune chanteur auditionne donc pour l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal, attiré par la ville mais également par l’importance accordée aux nouvelles œuvres au sein de la compagnie. « C’est ce que j’aime ici: malgré que ce soit une compagnie établie, ils essaient toujours de trouver des façons de rester à l’avant-garde et de demeurer actuels. Ça me rejoint beaucoup. J’aimerais bien me spécialiser en opéra contemporain éventuellement! »

Grandir en tant qu’artiste

Que retient-il de ses deux années au sein du programme de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal? « Mon passage ici a fait mûrir mon amour pour l’opéra. L’opéra n’est pas toujours synonyme de papillons, d’arcs-en-ciel et de crème glacée à volonté. C’est difficile, ça demande de la précision musicale et ça exige de donner beaucoup de soi-même. Mon approche de la musique a changé et j’ai solidifié mon processus d’apprentissage. L’Atelier lyrique est un milieu idéal pour travailler, tout le monde nous traite avec dignité et respect tout en étant exigeant quand il s’agit de notre art. C’est le genre d’environnement dans lequel je veux évoluer, où je me sens soutenu et où je sais que j’ai droit à l’erreur. C’est une vraie bénédiction d’être ici! »

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Des rencontres marquantes

Une rencontre a marqué Mishael au fer rouge: celle de Johnathan McCullough et Christopher Allen, des artistes et créateurs au sommet de leur carrière. « C’était inspirant de les écouter car ils ont la mi-trentaine, donc ils sont quand même proches de nous. Ils nous ont donné des conseils sur l’équilibre vie-carrière, tout en posant la question “Qu’est-ce que cela signifie d’être au sommet de son art?” C’est un moment qui m’habitera pendant longtemps. »

Toutes les causeries et conférences offertes au cours de la dernière année nourrissent énormément le jeune artiste. « Avec Teiya Kasahara, on a parlé de revisiter notre identité en tant qu’artiste. C’est tellement facile de simplement dire oui à tous les contrats parce qu’on veut travailler, mais il ne faut pas oublier qui on est. C’était très rafraîchissant et encourageant! »

Construire une carrière à son image

Fort des enseignements reçus à l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal, le ténor envisage la suite des choses avec beaucoup d’ouverture, gardant en tête que si les opportunités ne se présentent pas à lui, il se doit de les créer. « Je ne me vois pas seulement comme un interprète. J’ai envie de collaborer, de connecter avec d’autres artistes, de réfléchir, brainstormer, de participer à l’élaboration de projets. »

Si l’opéra appelle indéniablement le ténor sur les planches, son champ d’intérêt est beaucoup plus large. « Oui, je suis un chanteur d’opéra, mais j’ai aussi beaucoup d’expérience en théâtre musical, en théâtre plus classique, en théâtre expérimental et en création de toute sorte. Je ne veux pas me limiter à une seule forme d’art. Pour moi, ce qui compte le plus, c’est de raconter des histoires. Ça, et la communauté avec qui je peux partager ces histoires. »

Montréal: ville de cœur et d’adoption

À l’agenda du ténor au cours des prochains mois, on retrouve un retour sur les planches à l’Opéra de Montréal dans Le Couronnement de Poppée en novembre prochain, un Messie de Handel avec le Regina Symphony Orchestra, le concert Pulcinella avec l’Orchestre symphonique de Laval ainsi que le projet d’un nouvel opéra qui pourrait voir le jour à l’été 2024.

« J’ai décidé de rester à Montréal. C’est vraiment ma ville de rêve, dans laquelle on trouve un parfait mélange des sensibilités nord-américaine et européenne. Je sais que la vie d’un chanteur lyrique est nomade, mais j’aimerais beaucoup conserver mon pied-à-terre ici! » 

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